
Rarement sur un vote ai-je autant eu de difficultés à choisir sur lequel des trois boutons – pour, contre, abstention – j’allais appuyer. Alors j’ai lu, relu, re-relu.
Les travaux parlementaires, les articles, les interpellations, les témoignages. Je suis allée voir mes collègues en première ligne sur ce texte pour poser mes questions, et tenter de trouver une ligne qui puisse être la mienne. La ligne parfaitement juste, pour moi, sur ce texte n’existe pas. Car le système dans lequel nous évoluons ne l’est pas, et que le pragmatisme nous oblige à l’humilité sur un sujet infiniment plus grand que nous : celui de la fin de vie.
J’ai voté pour les deux parties du texte. La première, consensuelle, sur les soins palliatifs. Ce texte va dans le bon sens, s’appuie sur des moyens supplémentaires dès le budget 2025 pour garantir l’accès aux soins palliatifs sur tout le territoire et en faire un droit opposable. Avec la sédation profonde, dans une grande partie des cas, les personnes seront accompagnées pour leur fin de vie en unité de soins palliatifs.
La deuxième partie du texte, elle, a suscité de longs débats dans l’hémicycle comme à l’extérieur. Si certains à l’extrême-droite de notre Assemblée ont usé d’outrances, on peut être en désaccord profond avec le droit pour l’aide à mourir, sans mentir sur le contenu du texte et sans agiter les peurs. Je salue ici le travail des collègues mobilisés sur le texte, pour certain·es depuis plusieurs années et les échanges respectueux qui ont nourri nos travaux.
5 critères définissent le cadre pour avoir accès à l’aide à mourir :
- être majeur·e,
- résider en France,
- être libre et conscient·e au moment de la demande,
- être atteint·e d’une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale,
- souffrir de douleurs réfractaires, que rien ne permet de soulager.
Il ne s’agit pas ici simplement de mourir. Pour les personnes concernées par ces critères cumulatifs et qui en feront la demande, il s’agit de pouvoir mourir dans la dignité. C’est un texte équilibré avec des critères stricts, une décision collégiale, pas de directives anticipées, et un droit de réserve pour les soignants.
On ne légifère pas sur la base de témoignages. Certains, sur ce texte, m’ont bouleversée. Les témoignages sont les vigies, remontées du terrain, qui éclairent nos décisions. J’ai été particulièrement attentive aux interpellations des personnes handicapées dont j’essaie d’être alliée et soutien sur les combats qui nous réunissent. A l’heure où je vous écris, je suis une femme valide, c’est-à-dire sans handicap. J’ai conscience de ne pas pouvoir pleinement comprendre la violence symbolique que représente ce texte.
Le pouvoir politique légifère pour l’aide à mourir dans une société où il n’a jamais été à la hauteur pour aider à VIVRE. Dans une société validiste qui renvoie perpétuellement aux personnes handicapées qu’elles peuvent représenter un fardeau, que certaines vies vaudraient moins le coup d’être vécues.
Notre fardeau collectif, c’est le validisme. C’est notre incapacité à transformer la société pour la rendre plus inclusive. Le gouvernement doit entendre les voix des collectifs et de leurs allié.es qui s’élèvent dans le débat autour de la fin de vie. C’est un appel à l’action urgente pour qu’on en finisse avec cette société qui hiérarchise et stigmatise.
Dans ce texte, l’aide à mourir ne peut être sollicitée pour des raisons économiques, sociales, de dépendance, de handicap ou de maladie neurodégénérative. Le handicap ne peut se substituer aux critères listés par la loi – il s’agit ici de phase terminale avec douleurs réfractaires. C’est à la demande, et uniquement par un choix conscient et libre de la personne, que l’aide à mourir peut être sollicitée. S’il n’est pas de liberté sans égalité, alors nous ne sommes libres de rien, car jamais réellement égaux dans un monde traversé par les rapports de domination.
Et pourtant, peut-on refuser à qui veut partir dignement l’ultime acte d’accompagnement ?
C’est pour moi toute la tension autour de ce vote. Comment permet-on, dans ce monde inégalitaire, aux personnes concernées de choisir elles-mêmes, malgré tout ?
Ne pas leur proposer de cadre légal, c’est accepter qu’elles quittent la France pour respecter leur volonté. C’est donc une injustice sociale, car il faut avoir les moyens – financiers, humains – pour le faire.
Ne pas leur proposer de cadre légal, c’est laisser l’angoisse et la clandestinité opérer, y compris pour les proches et les soignants. Comme pour l’IVG, interdire ne veut pas dire éviter l’acte – c’est surtout dégrader les conditions dans lesquelles il a lieu.
J’ai voté cette loi, sans élargissements des critères, et sans directives anticipées. J’entends la crainte de l’après, de l’extrême-droite au pouvoir et des dérives de notre système à bout de souffle. C’est donc à notre tour d’être des vigies pour veiller à l’application de cette loi, et strictement cette loi. De continuer à nous battre pour l’accès aux soins, partout sur le territoire, et pour la dignité de chacun·e.
Sincèrement et en vigilance,
M-C Garin